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Revue des droits et libertés constitutionnelles

Revue des droits et libertés constitutionnelles

Chaque semaine, des articles, interviews, enquêtes sur les droits et libertés constitutionnelles seront produites par les étudiants en droit public.


Le quiproquo de l’autonomie financière des collectivités territoriales

Publié par C-Net ! sur 11 Novembre 2020, 15:30pm

Source : la gazette.fr

Source : la gazette.fr

Les collectivités territoriales, personnes morales de droit public distinctes de l’Etat, bénéficient d’une autonomie d’une part juridique, d’autre part patrimoniale, et s’administrent librement dans les conditions prévues par la loi. Bien que la libre

administration des communes, départements et régions entre autres, soit un principe consacré par la Constitution (art. 72 al. 3), sa valeur normative s’est progressivement constituée notamment dans la décision n°83-168 DC du 20 janvier 1984, par laquelle le Conseil constitutionnel lui reconnait une portée constitutionnelle.

La reconnaissance du principe abstrait de libre administration par le Conseil Constitutionnel

Pour le Conseil d’Etat, la libre administration des collectivités territoriales est reconnue comme une liberté fondamentale protégée par la procédure du référé liberté, en ce sens, CE, 18 janvier 2001, « Communes de Venelles ». En référence à cette décision et dans son commentaire, Michel Verpeaux affirme que le principe de la libre administration est une garantie qui doit être regardée comme le principe de séparation des pouvoirs, en ce sens qu’ils « ne sont pas des droits mais des moyens d’asseoir des droits ou des libertés ; ils sont des moyens, ils ne constituent pas des buts. »

Autre décision fondamentale du Conseil d’Etat, le 18 mai 2010, « Commune de Dunkerque », renvoyant une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel, première occasion pour ce dernier de ce prononcer sur une question relative au droit des collectivités territoriales.

Le contenu et l’imprécision des termes de l’article 72, « vagues et vides » de références comme l’a justement souligné Michel Troper en fait une notion abstraite. La libre administration permet de garantir un espace de liberté dans lequel les collectivités territoriales peuvent opérer, les protégeant ainsi d’éventuels empiétements de l’Etat, sorte de rempart contre la politique centralisatrice de ce dernier. Se présentant comme un principe de « nature institutionnelle ou organique », la libre administration des collectivités se borne à des compétences administratives sans fonctions politiques excluant les compétences régaliennes ce qui signifie pour les collectivités, ni libre réglementation, ni libre gouvernement.

La révision constitutionnelle de 2003 leur reconnait, en tant que conséquence de la libre administration, un pouvoir réglementaire (art. 72 al.3) « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. ». Cette reconnaissance consacre la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui s’est attachée à protéger la liberté de gestion des collectivités par une liberté « d’agir » corollaire de leur liberté « d’être » protégée elle, par le texte constitutionnel.

Toutefois le pouvoir réglementaire est limité. Il relève du cadre de la loi adoptée au niveau étatique et se cantonne à l’exercice des compétences des collectivités.

Une identification ardue, bien qu’évidente, d’une autonomie financière

La libre administration implique une autonomie institutionnelle et une indépendance fonctionnelle qui découle de l’existence « d’attributions effectives » devant être reconnues aux conseils élus par la loi. Pour agir librement, les collectivités doivent cumuler non seulement, une réelle capacité de décision pour la bonne gestion de leurs affaires, et des compétences matérielles suffisantes.

Cette liberté d’action dépend également des moyens financiers qui leurs sont reconnus et garantis. Ainsi le Conseil constitutionnel s’assure que la législation n’a pour effet « ni de restreindre la part [des] recettes ni de diminuer les ressources globales des collectivités concernées au point d’entraver leur libre administration » comme jugé dans sa décision n°90-274 du 29 mai 1990.

L’autonomie financière des collectivités, constitutionnalisée par la réforme de 2003 et l’introduction de l’article 72 al.2, doit être regardée comme une composante juridique du principe constitutionnel de libre administration.

Ainsi, une telle autonomie fonctionnelle implique une nécessité de finances dans le but d’établir une réelle capacité de décision de la part des collectivités. Très tôt par le biais de sa décision n°90-274 DC datant du 29 mai 1990, le Conseil Constitutionnel se place étonnamment en garant de cette marge de manœuvre d’ordre financière pour les collectivités territoriales. Les Sages posent dès lors le fait que les lois ne sauraient avoir pour finalité de restreindre en aucune manière les moyens financiers octroyés aux collectivités. Il est alors intéressant de voir le Conseil reconnaître les deux types de financement directs des collectivités à savoir ces attributions ou dotations et les recettes fiscales.

Vers une reconnaissance de la capacité des collectivités à user pleinement de leurs ressources propres ?

Pour autant, ces éléments s’insèrent dans un contexte européen certain. En effet, la loi organique n°2004-758 du 29 juillet 2004 relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales reflète la volonté du législateur. L’article 72-2 de la Constitution vise à renforcer les libertés financières de ces collectivités. À l’heure de la construction européenne cela ne détonne point. L’État souhaite augmenter l’influence de ses collectivités territoriales dans l’optique de les voir peser à l’échelle européenne puisque l’Europe compte autant sur la coopération et le contact entre collectivités transnationales qu’entre États.

Là réside un quiproquo qui ne fait que croître. L’esprit du législateur veut mener les collectivités à leur envol du point de vue de leur autonomie. Toutefois, dans sa lettre, au travers des textes de loi, l’expression « d’autonomie financière » manque de clarté. Ainsi, il aura fallu attendre la décision n° 2009-599 du 29 décembre 2009 pour que le Conseil reconnaisse pleinement l’existence d’un « principe constitutionnel d’autonomie financière ». Fort de cette menue avancée, le législateur revient sur ses pas en introduisant la loi du 22 janvier 2018 dite de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 (LPFP). Cette dernière met en place un processus de contractualisation entre l’État et lesdites collectivités. Un tel processus n’a pour d’autre but que de restreindre l’autonomie financière des collectivités en les faisant participer à l’effort herculéen de réduction du déficit public, autrement dit, de maîtrise de la dépense.

Le Conseil Constitutionnel monte alors au créneau en dénonçant un dispositif « contraignant » par le biais de sa décision n°2017-760 DC en son considérant n°12 datant du 18 janvier 2018. En effet, un mécanisme de contractualisation revient à signifier un plafonnement préalable des dépenses selon études de marché. Aussi, cette prévision des besoins des collectivités rentrent directement en confrontation avec l’alinéa 1 de l’article 72-2 de la Constitution selon lequel les « collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement [...] ». Ce dispositif tue dans l’œuf pour ainsi dire toute capacité d’initiative de la part desdites collectivités.

L’imprécision gravitant autour de la considération d’une fiscalité propre pour les collectivités territoriales

Se pose alors la question de savoir si cette supposée autonomie financière aurait jamais garantie aux collectivités territoriales la maîtrise pleine et entière de leurs ressources financières. En effet, il est alors question de la gouvernance financière à l’échelle locale.

Après un retrait de l’État au profit d’une décentralisation marquée dans les années 1980, l’État a vite revu son positionnement au sens de l’article 34 de la Constitution selon lequel la loi fixe les règles concernant le contrôle de l’assiette fiscale et notamment les taxes. Force est de constater que l’impôt a toujours été une composante essentielle du pouvoir de l’État. Or, les collectivités territoriales bénéficiaient jusqu’alors d’une certaine fiscalité propre. La loi du 31 décembre 1974 leur octroyait effectivement la gérance des taxes d’habitation et autres taxes foncières.

D’aucuns estimeraient que cette suppression par paliers de la taxe d’habitation et, de manière plus générale, la restriction de la fiscalité locale constitue une atteinte au libre financement desdites collectivités. Le Conseil Constitutionnel était alors relativement silencieux sur le sujet et laisse l’État mettre en place les compensations avec la loi de finances initiale pour 2004. Ces compensations changeront bien vite d’appellation pour devenir les fameuses dotations. Leur étant de se substituer aux pertes financières subies par les collectivités territoriales lors du remaniement des taux de la fiscalité locale par le législateur. Pourtant selon le Conseil Constitutionnel ce déclin de la fiscalité locale ne représente en aucun cas une atteinte à la libre administration des collectivités. Effectivement, les dotations compensent. Il confirme en effet après la loi organique du 29 juillet 2004 que l’État peut valablement dans ce contexte de crise du déficit interférer dans la fiscalité locale. Par ailleurs, il s’agit de l’esprit de la loi de finances initiale pour 2010 qui confirme comme « nécessaire » ce repositionnement de l’État.

Ainsi, le Conseil Constitutionnel fait preuve d’imprécision quant à la définition de l’autonomie financière et fiscale des collectivités. En effet, il a beau dissocier les notions d’autonomie financière et d’autonomie fiscale, il ne les reconnaît seulement qu’à demi-teinte grâce à la marge de manœuvre que lui confère l’article 72 de la Constitution au travers de l’idée d’entrave à la libre administration. Ce faisant, il entretient un débat politique qui nécessite un apport doctrinal ainsi qu’une jurisprudence administrative claire pour se défaire.

Marie Albrich, Marie Alverola, Nicolas Girod, Valentin Rio.

Bibliographie :

  • L. Favoreu, A. Roux, « La libre administration des collectivités territoriales est-elle une liberté fondamentale ? », Cahiers du Conseil constitutionnel n°12 (dossier : le droit constitutionnel des collectivités territoriales) - Mai 2002.

  • R. Hertzog, « Loi organique relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales : précisions et complications », AJDA, 2004, p. 2003.

  • X. Cabannes, « L’autonomie financière des collectivités territoriales après les récentes lois financières : une adolescence difficile ou déjà une vieille lune? », ADJA, 2018, p. 720.

  • M. Bouvier, « Le Conseil constitutionnel et l’autonomie fiscale des collectivités territoriales : du quiproquo à la clarification », Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel n°33 (dossier : le Conseil Constitutionnel et l’impôt) - Octobre 2011.

  • L. Philip, « L’autonomie financière des collectivités territoriales », Cahiers du Conseil

  • Constitutionnel n°12 (dossier : le droit constitutionnel des collectivités territoriales) - Mai 2002.

  • F. Lafargue, « La Constitution et les finances locales », Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel n°42 (Le Conseil Constitutionnel et les collectivités territoriales) - Janvier 2014.

  • R. Hertzog, « La réforme des collectivités territoriales : une ambition financière », Revue française d'administration publique, vol. 141, no. 1, 2012, pp. 121-137.

  • A. Guengant, « La constitution peut-elle garantir l'autonomie financière des collectivités territoriales ? », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, vol. décembre, no. 5, 2004, pp. 653-672.

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