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Revue des droits et libertés constitutionnelles

Revue des droits et libertés constitutionnelles

Chaque semaine, des articles, interviews, enquêtes sur les droits et libertés constitutionnelles seront produites par les étudiants en droit public.


La liberté d’information dans la jurisprudence constitutionnelle européenne

Publié par C-Net ! sur 22 Novembre 2020, 18:11pm

Source : http://www.gilblog.fr/vu_sur_le_web/loi-sur-le-secret-des-affai.html

Source : http://www.gilblog.fr/vu_sur_le_web/loi-sur-le-secret-des-affai.html

Si Winston Churchill disait qu’ « il vaut mieux faire l’information que la recevoir », la liberté de recevoir des idées et des informations constitue aujourd’hui dans l’esprit européen un pilier démocratique essentiel. Potentiellement manipulée, néanmoins, cette information et ces idées se doivent d’être protégés, au risque de tomber dans la désinformation de l’autre, et finalement, de décrédibiliser à la fois le liberté d’expression, fondamentale, et son versant proche, la liberté d’information

 

Ainsi, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après dénommée Conv. EDH) protège la liberté de recevoir ou de communiquer ces information. Cet article dispose en son premier paragraphe, que : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations ». Cet article est repris quasiment à l’identique par l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La liberté d’expression d’un point de vue européen constitue alors un droit englobant, puisqu’il comprend à la fois la liberté d’information et la liberté d’opinion. Toutefois, existe-t-il une véritable liberté d’expression sans liberté d’information et d’opinion? Ces libertés pourraient alors être qualifiées d’interdépendantes. 

La liberté d’information : un prérequis au bon exercice de la liberté d’expression

Selon la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après dénommée Cour EDH), la liberté d’expression est un « fondement de la démocratie » (Cour EDH, 20 octobre 1999, « Wille contre Lichtenstein »). En effet, cette liberté consiste à protéger la parole de chacun dans une société, plus particulièrement contre les pouvoirs publics, qui pourraient censurer par des arguments d’autorité certaines opinions. Ainsi, la liberté d’expression permet moins de protéger des opinions partagées par tous que de protéger des opinions dissidentes (Cour EDH, 7 décembre 1976, arrêt « Handyside c. Royaume-Uni »), d’où l’acception de fondement de la démocratie reconnue par la Cour EDH. 

Il est également à soulever que la conception de la liberté d’expression est assez éclatée entre les différents pays européens au sein de leurs Constitutions. Comme le souligne le Professeur Michel Verpeaux: « La liberté d'expression est consacrée dans la plupart des constitutions européennes avec des formulations et des dénominations parfois différentes qui ne tiennent pas toutes à des problèmes de traduction, mais qui illustrent aussi une certaine identité des principes ». Ainsi, par exemple, si certains pays accordent à l’instar de l’Italie une nécessité du respect des bonnes moeurs au sein de la liberté d’expression, d’autres sont plus novateurs, comme la Suède, dont la Constitution sépare clairement liberté d’expression et d’information. Ce caractère somme toute constellé de l’interprétation de la liberté d’expression selon les Constitutions européennes se trouve néanmoins unifié tant par la jurisprudence de la Cour EDH, que par celle de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après dénommée « CJUE »). 

La liberté d’expression dans la jurisprudence européenne est intimement liée avec la liberté d’information. Cela s’explique d’une manière pragmatique d’abord par le lien qui est fait dans la Convention EDH entre les deux notions. D’autre part, il est possible d’y trouver une explication dans le fait que la liberté d’information est en fait une liberté d’accès aux différents moyens d’expression. Que serait une voix si elle n’était pas relayée et entendue ? Un simple son perdu. Que serait une idée si elle n’était pas relayée et partager à d’autres ? Une pensée non exprimée. Ainsi, il semble possible d’affirmer que, sans la liberté de recevoir ou de communiquer des idées, la liberté d’expression perd une part de sa substance. Ce pourquoi la jurisprudence européenne s’attache particulièrement à protéger les différents moyens d’expressions permettant l’information. 

A cet effet, par exemple,  la Cour EDH dispose d’une jurisprudence abondante, protectrice notamment de la liberté de la presse, qui selon elle « joue un rôle essentiel dans le bon fonctionnement d’une démocratie politique » (Cour EDH, « Surek c. Turquie, 1999 », 8 juillet 1999), allant même jusqu’à qualifier de « chien de garde » le rôle occupé par les médias « en matière d’information du public sur la manière dont les autorités gèrent les manifestations publiques et maintiennent l’ordre » (Cour EDH, 20 octobre 2015, « Pentikäinen contre Finlande »). 

Toutefois, la liberté d’expression, et donc la liberté d’informations, peuvent parfois souffrir de restrictions, ce qui peut dans certains cas poser le problème de l’abus. En effet, les restrictions non proportionnées pourraient faire passer une restriction à la liberté d’information pour de la censure d’autorité pure et simple. 

Une liberté pouvant souffrir de restrictions, contrôlées par le juge européen

Le deuxième paragraphe de l’article 10 de la Convention EDH dispose que : « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ». 

Ainsi, dans sa jurisprudence, la Cour EDH a développé un examen particulier sous formes d’étapes pour garantir une proportionnalité dans l’ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression, et donc de celui de la liberté d’information également. Après avoir constaté l’existence de cette ingérence, et de la forme appliquée, la Cour opère successivement trois « tests » pour vérifier la validité de l’ingérence : sa légalité, sa légitimité, et sa nécessité dans une société démocratique. Concernant le test de la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique, la Cour trouve un domaine d’application de ce dernier tout particulièrement en ce qui concerne la liberté d’information, et plus particulièrement la liberté de la presse. En effet, ce test comprend notamment la nécessité d’existence d’un besoin social impérieux. 

Autrement dit, pour pouvoir introduire certaines restrictions, dispositions, sanctions et autres à la liberté d’information, il faudra que cela soit justifié notamment par la nécessité de tels restrictions dans une société démocratique (mais pas que, cf. Légalité, et légitimité précédemment évoquées), et cela se traduit par exemple par l’existence d’un besoin social impérieux. Selon la Cour, ce besoin social impérieux n’est pas synonyme d’ « indispensable », mais il n’a pas la souplesse des termes tels qu’ « admissible », « normal », « utile », « raisonnable » ou « opportun » (Cour EDH, Grande Chambre, 17 février 2004, « Gorzelik et autres contre Pologne », §95). En effet, toujours selon la Cour, la marge d’appréciation de l’existence d’un besoin social impérieux lorsque la liberté de la presse est en cause est plus restreinte (Cour EDH, 25 avril 2006, « Dammann c. Suisse », §51). En ce qui concerne maintenant le contrôle de la nature des sanctions, et de leur lourdeur, l’arrêt de Grande chambre de la Cour EDH du 29 mars 2016 « Bédat c. Suisse », montre que la Cour est attentive à la nature de « censure » d’une ingérence. Elle veille ainsi à ce que la sanction ne soit pas une forme de « censure déguisée » tendant à inciter la presse à s’abstenir d’exprimer des critiques (§79 de la décision). 

Si la Cour semble aisément protéger la liberté de la presse des ingérences abusives des pouvoirs publics, le cas de l’Internet montre que la jurisprudence européenne est néanmoins mise à l’épreuve par cet outil où l’information circule à très grande vitesse, partout, tout le temps. 

Le cas de l’Internet : une mise à l’épreuve de la jurisprudence européenne sur la liberté d’information

L’Internet est un endroit où fleurissent l’information et la désinformation tout en même temps. Les atteintes à la liberté d’information peuvent y être exacerbées, et tout à la fois, l’Internet consiste un outil sans précédent de la liberté d’expression (Cour EDH, 10 octobre 2013, « Delfi AS c. Estonie »). La jurisprudence de la Cour EDH sur le sujet est ainsi importante. Cette dernière estime en effet que les sites internet contribuent, du fait de leur accessibilité et de leur capacité à conserver et à diffuser de grandes quantités de donnés, à améliorer l’accès du public à l’actualité et ainsi à faciliter la communication de l’information (Cour EDH, 10 mars 2009, « Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni (n° 1 et n° 2) »). 

La Cour se veut ainsi protectrice de cet outil, où la liberté d’expression et la liberté de l’information trouve un écho certain. Ainsi, elle estime qu’un blocage d’accès à internet peut entrer en totale contradiction avec le premier paragraphe de l’article 10 de la Convention EDH, en vertu duquel les libertés d’expression, d’opinion, et de recevoir et de communiquer des informations valent « sans considération de frontière » (Cour EDH, 18 décembre 2012, « Ahmet Yildrim c. Turquie »). Il est également clair que la Cour recherche un équilibre entre les droits fondamentaux, et l’Internet est l’endroit privilégié pour mettre à l’épreuve cette jurisprudence de conciliation. En effet, elle estime à ce sujet que les communications en ligne et leur contenu risquent bien plus que la presse de porter atteinte à l’exercice et à la jouissance des droits et libertés fondamentaux, et en particulier le droit au respect de la vie privée, prévu par l’article 8 de la Convention EDH (Cour EDH, 16 juillet 2013, « Węgrzynowski et Smolczewski c. Pologne »). 

La Cour allie ainsi reconnaissance des avantages importants qu’internet présente pour l’exercice de la liberté d’expression et de la liberté d’information et la reconnaissance de la possibilité pour les personnes subissant de la diffamation, par exemple, d’engager une action en responsabilité, de nature « à constituer un recours effectif contre les violations des droits de la personnalité » (Cour EDH, 10 octobre 2013, « Delfi AS c. Estonie », §110)

De plus, il est à noter que la jurisprudence de la CJUE en ce qui concerne la protection de droit de l’information sur l’Internet peut être, certes, protectrice pour le particulier, mais un risque pour la liberté d’information. Ainsi a-t-elle pu décider que l’absence d’efficacité totale de la mesure n’était pas une obstacle rédhibitoire à la proportionnalité d’une injonction de blocage, à l’égard d’un fournisseur d’accès (CJUE, 27 mars 2014, « UPC Telekabel Wien GmbH »). Si l’efficacité totale d’une mesure de blocage sur l’internet n’est pas un argument pour établir la disproportion de la mesure, il peut être à craindre que le risque de censure privée ne soit accru. De plus, Selon ce même arrêt, la Cour de justice semble avoir  « conditionné la possibilité d’enjoindre un blocage au fournisseur d’accès sans prescrire de dispositif technique précis, à la reconnaissance aux usagers du droit de saisir le juge a posteriori afin de contrôler la manière dont l’intermédiaire a pris en considération leur droit fondamental à l’information », selon Quentin Van Enis. Toutefois, si l’intention de protection de l’usager est bonne, faut-il encore que ce dernier ait conscience qu’il dispose d’un accès au juge a posteriori : l’accès au juge par l’utilisateur de l’Internet peut parfois être aléatoire. Le juge européen semble, sur ce point, pouvoir mieux faire dans la conciliation entre protection de l’usager et de son droit fondamental à l’information. 

Marie Albrich, Marie Alverola, Nicolas Girod, Valentin Rio. 

Bibliographie

C. Bigot, « Liberté d'expression : jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », Légipresse 2020, p. 515.   

Cour Européenne des droits de l’homme, Guide sur l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, 31 mars 2020. 

Q. Van Enis, « Le droit de recevoir des informations ou des idées par le biais de l’internet, parent pauvre de la liberté d’expression dans l’ordre juridique européen ? », Journal européen des droits de l’homme, 2015, Editions Larcier. 

M. Verpeaux, « La liberté d’expression dans les jurisprudences constitutionnelles », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n°36 (Dossier - La liberté d’expression et de communication), Juin 2012. 

Webographie

A. Bem, « La liberté d’information à l’épreuve de l’internet et la manipulation de l’opinion », LegaVox.fr, 12 décembre 2017.

« Au sujet de la liberté d’information", UNESCO, http://www.unesco.org/new/fr/ communication-and-information/freedom-of-expression/freedom-of-information/about/, consulté le 21/11/2020

Base de données Hudoc de la Cour européenne des droits de l’homme (hudoc.echr.coe.int ).

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