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Revue des droits et libertés constitutionnelles

Revue des droits et libertés constitutionnelles

Chaque semaine, des articles, interviews, enquêtes sur les droits et libertés constitutionnelles seront produites par les étudiants en droit public.


Le droit d'accès à l'eau dans une perspective de droit constitutionnel comparé

Publié par C-Net ! sur 21 Octobre 2019, 08:44am

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« L'eau n'est pas nécessaire à la vie, elle est la vie », Saint-Exupéry.
   Dans la Charte de l'environnement de 2004, il est inscrit que « l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains ».
  Selon le rapport 2017 sur les progrès en matière d’assainissement et d’alimentation en eau de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Unicef, 11% de la population mondiale, soit 844 millions d’individus, n’auraient pas accès à l’eau potable en 2015.
   Il ressort de la conférence internationale de l'UNESCO sur l'eau qui s'est tenue en mai 2019,  la nécessité par les États d'améliorer la gestion des ressources en eau douce indispensable à toutes les activités humaines. Par conséquent, l'eau est un facteur indispensable à la vie humaine.
   La constitutionnalisation du droit d'accès à l'eau permet-elle de répondre aux exigences internationales dans ce domaine ?
   Dans la mesure où les instances internationales rappellent régulièrement la nécessité d'améliorer la gestion des ressources en eau (I), il conviendra de s'attarder sur l'efficience de la constitutionnalisation de ce droit (II).


I/ La consécration théorique du droit d'accès à l'eau par les instances internationales

   Les décisions internationales mettent l'accent sur le droit d'accès à l'eau.
Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en date du 16 décembre 1966 prévoit dans son article 11 que « Les États partis au présent pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille ».
   Actuellement, près de cent-soixante États ont ratifié ce pacte. Le droit à un niveau de vie suffisant peut être interprété comme englobant, entre autre, le droit d'accès à l'eau potable.
La liberté d'interprétation de cet article accordé aux États est symptomatique des traités internationaux qui touchent aux conditions de vie humaine.

   Cette préoccupation est également au centre des débats au sein de l'Assemblée Générale de l'ONU. En effet, la Bolivie a initié un projet de résolution relatif au droit fondamental à l'eau et l'assainissement, qui a recueilli un total de 122 voies favorables.
Ce projet prévoyait notamment de reconnaître que le droit à l'eau potable et à l'assainissement est un droit « essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l'exercice de tous les droits de l'homme ». Pour autant, un de ses autres enjeux principaux était d'affirmer que ce droit est « indissociable du droit au meilleur état de santé physique et mental susceptible d'être atteint, ainsi que du droit à la vie et la dignité ».

   Dans la même veine, la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) a abordé cette question du droit à l'eau et à l'assainissement dans de nombreuses jurisprudences. Ce fut par exemple le cas dans l'affaire Kadikis contre Lettonie du 4 mai 2006, où la CEDH a dénoncé l'absence d'eau courante et potable dans la cellule d'un prisonnier. Ainsi, la Cour a reconnu le manque d'eau ou d'assainissement comme un traitement inhumain ou dégradant inapproprié aux conditions de santé humaine.
 

II/ La consécration normative du droit d'accès à l'eau par les États

   Le soutien au droit à l’eau est devenu très fort, de sorte que certains États ont même souhaité étendre la compétence de ce droit en l'inscrivant explicitement dans leur constitution.

   C'est par exemple le cas de l'Uruguay qui, en 2002, par le biais d'organisations sociales regroupées au sein de la Commission nationale de défense de l’eau et de la vie (CNDAV), a réussi à faire inscrire dans sa Constitution une clause définissant le droit à l’eau comme un droit humain fondamental.
   Ce fut un succès notamment du fait que l'inscription de ce droit environnemental ait été faite par référendum constituant, avec une majorité favorable de 65,7% à cette modification constitutionnelle. Cette réforme disposait que : « L’eau est une ressource naturelle essentielle à la vie. L’accès à l’eau potable et l’accès à l’assainissement constituent un droit fondamental ». En accord avec l'article 331 de cette dernière, les signatures d'au moins 10% de l'ensemble des électeurs inscrits sur les listes électorales doivent pour cela être réunies, soit en 2019 un total de 270 600 signatures.

   Notons cependant que cette volonté de rendre le droit d'accès à l'eau et à l'assainissement fondamental à la vie humaine peut rencontrer des difficultés dans son application. En effet, l'Uruguay reste un pays en développement c'est pourquoi l'accès concret à ce droit varie en fonction du budget d'investissement et des dépenses publiques qui lui sont données.
   En ce sens, le Docteur Marcel Achkar (Faculté des Sciences) mettra en avant que la gestion durable de l'eau nécessite également de se pencher sur la question des sols, qui sont intimement liés à l'eau. « Un territoire dégradé va produire une eau de mauvaise qualité ». Bien d'autres notions sont alors à considérer pour mener à bien cette mission de garantie d'accès à une eau potable. La réforme uruguayenne semble être un processus très intéressant mais elle confronte le pays à une série de difficultés qui restent, pour la plupart, non maîtrisées.

   Il en est de même pour d'autres pays tels que la Slovénie, pour qui le droit à l'eau potable a été inscrit dans la Constitution en novembre 2016. Ce point prévoit que « chacun a le droit à l'eau potable » et  insiste notamment sur l'interdiction de privatiser cette ressource, en précisant que « l'approvisionnement en eau de la population est assuré par l'État via les collectivités locales, directement et de façon non-lucrative ». Le but premier de cette mesure est de protéger les personnes, c'est pourquoi la Slovénie a même fait entrer le droit à l'eau au profit de milliers de Roms, car une majorité d'entre eux se voyaient refuser un accès, même de base, à l'eau et aux sanitaires.

   Néanmoins, la qualité de l'eau potable varie d'un endroit à l'autre en Slovénie : en effet par endroits, l'eau est de meilleure qualité, comme par exemple dans les villes par rapport à la campagne. Également, beaucoup d'eaux potables slovènes sont dures, c'est-à-dire qu'elles contiennent une grande quantité de calcaire. Les intoxications sont possibles, notamment en cas de pluies torrentielles où l'eau sera trouble.

   Enfin, des États pourtant peu développés comme l'Afrique du Sud ont également inscrit le droit à l'eau potable dans leur Constitution. En effet, celle-ci prévoit à présent « une utilisation durable, équitable et raisonnable des cours d'eau protégés » mais les droits consacrés ne sont que planifiés et par conséquent, non-contraignants. Ceci est principalement dû à l'insuffisance des moyens financiers qui lui sont consacrés, c'est pourquoi de nombreux pays africains seront soutenus par l'aide internationale, en particulier celle de la France.

   La consécration normative, et plus exactement constitutionnelle de ce droit d’accès à l’eau n’est donc pas un gage de qualité juridictionnelle. Bien au contraire, il est remarquable que bon nombre de ces normes à valeur constitutionnelle sont issues d’un référendum populaire, ce qui montre bien que c’est une question qui inquiète davantage les populations qui en sont victimes que les États en eux-mêmes, et le problème est justement là. Cette consécration intervient généralement trop tard, lorsque la situation est déjà critique et que des mesures doivent effectivement être prises par l’autorité étatique.

   En France par exemple, ce droit d’accès à l’eau n’est pas clairement protégé par le bloc de constitutionnalité. L’évolution du droit international et l’émergence de normes constitutionnelles au sein d’autres États ont poussé certains députés à se saisir de cette question. Le 14 décembre 2017, un projet de loi constitutionnel a été enregistré et visait à introduire au sein de la Charte de l’environnement un article 2-1 qui prévoyait que « L’eau est un bien commun de l’humanité. Toute personne a le droit fondamental et inaliénable d’accéder, gratuitement, à la quantité d’eau potable indispensable à la vie et à la dignité, prioritairement à tout autre usage. L’approvisionnement en eau potable des habitants, et son assainissement, sont assurés exclusivement par l’État ou les collectivités territoriales, directement et de façon non lucrative ». Cet article s’inspirait donc des consécrations précédentes telles que la Slovénie et l’Uruguay l’avaient expressément prévu dans leur Constitution, en mettant l’accent aussi bien sur le besoin primordial d’accéder à l’eau potable, en le rapprochant au droit à la vie et à la dignité protégée par la Convention EDH. Mais également sur le fait que ce soit l’État ou de façon générale les collectivités publiques qui doivent mettre en œuvre cette gratuité d’accès à l’eau, et non pas des organismes privés comme c’est parfois le cas actuellement.

   Cette exigence fait écho à l’évolution récente du droit d’accès à un logement décent, qui est lui-même devenue un objectif à valeur constitutionnelle comme le Conseil a pu le prévoir dans sa décision du 19 janvier 1995. Ce rapprochement avec le droit d’accès à un logement décent est d’autant plus remarquable grâce à la décision du Conseil, à la suite d’une QPC, qui avait été saisi pour statuer sur la constitutionnalité de l’alinéa 3 de l’article L.115-3 du code de l’action sociale et des familles.
Cet article prévoyait l’interdiction des interruptions de distribution d’eau même en cas d’absence de paiement des factures. Le Conseil a indiqué que cette disposition était conforme à la Constitution et s’est fondé sur le fait que les conditions d’accès à l’eau ont « poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent ».
  Il en résulte que même si le droit d’accès à l’eau potable ne revêt pas, en soi, une valeur constitutionnelle, le fait que le Conseil le rapproche aussi distinctement du droit de tous les individus de disposer d’un logement décent lui permet de disposer d’une certaine légitimité.

   Cette proposition de loi constitutionnelle a cependant été rejetée par l’Assemblée Nationale le 1er février 2018. Mais quelle est actuellement la situation juridique en France ? La protection législative est très générale. L’article L 210-1 du code de l’environnement l’illustre bien en affirmant que « l'eau fait partie du patrimoine commun de la nation » et ainsi que « chaque personne physique, […], a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
   Il s’agit typiquement du genre de principe que l’on retrouve dans le Pacte de 1966 ou les résolutions de l’ONU. Dans un même temps, on retrouve des lois plus techniques comme celle relative à l’interdiction d’interruption de distribution d’eau citée précédemment.

   Ainsi, l’effectivité du droit d’accès l’eau dans les États ne dépend pas de la valeur théorique que ceux-ci entendent leur donner, mais bel et bien de la réalité sociale et financière de ces États.
S'ils ne sont pas en mesure d’exercer financièrement une protection efficace de ce droit, la norme constitutionnelle ne sera qu’une déclaration de principe sans possibilité de condamnation des juridictions.
   C’est pour cette raison que, dans les États qui ont consacré ce droit dans leur norme suprême, une aide internationale serait nécessaire pour permettre à leurs populations d’avoir enfin accès à cette ressource primordiale.
BERTELS Loïc, DE REYCK Nora, NOURRY Anthony, BOULANGER Ophélie.

Bibliographie :

Rapport 2017 de l'OMS et l'UNICEF, « https://www.inegalites.fr/L-acces-a-l-eau-potable-dans-le-monde?id_theme=26 »

« Protocole international pour le droit de l'homme à l'eau et l'assainissement », 28 juillet 2010, Résolution 64/192 de l'Assemblée Générale

« Protocole international pour le droit de l'homme à l'eau et l'assainissement », 30 septembre 2010, Résolution 15/9 du Conseil des droits de l'homme

Cour Européenne des Droits de l'Homme, « affaire Kadikis contre Lettonie », 4 mai 2006, n° 62393/00

H. SMETS, Partage des eaux, Ressources et informations pour une gestion juste et durable de l'eau, jeudi 13 décembre 2009, « https://www.partagedeseaux.info/Le-droit-a-l-eau-dans-les-pays-du-Sud »

C. SANTOS, A. VILLAREAL, Partage des eaux, Ressources et informations pour une gestion juste et durable de l'eau, jeudi 30 septembre 2010, « https://www.partagedeseaux.info/Uruguay-l-usage-de-la-democratie-directe-pour-defendre-le-droit-a-l-eau »

J-B. FRANCOIS, Journal LaCroix, « En Slovénie, l'eau potable devient un droit constitutionnel, 17 novembre 2016, « https://www.la-croix.com/Monde/Europe/En-Slovenie-leau-potable-devient-droit-constitutionnel-2016-11-18-1200804148 »

slovenia.info, Eau et alimentation, « https://www.slovenia.info/fr/preparer-son-sejour/infos-pratiques/eau-et-alimentation »

Proposition de loi constitutionnelle n°498, visant à faire de l'accès à l'eau un droit inaliénable, «http://www.assemblee-nationale.fr/15/propositions/pion0498.asp »

Rapport du Sénat  l16-4151du 15 février 2017, relatif à la proposition de loi visant à la mise en œuvre effective du droit à l’eau potable et à l’assainissement « https://www.senat.fr/rap/l16-415/l16-4151.pdf »

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