https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/gilets-jaunes-on-repond-a-dixquestions-que-vous-vous-posez-sur-le-flash-ball-et-son-utilisation-par-les-forces-de-l-ordre_3138997.html
Les forces de l'ordre ont pour rôle de veiller à l'ordre public et au respect des lois. Ils assurent par cela la protection du droit à la vie, de la liberté, de la sûreté et de la sécurité des personnes tels que prévus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Les forces de l'ordre sont donc gardien de la loi et incarnent la défense des droits de l'Homme. Ce rôle de défenseur va leur permettre de recourir à la force qu'elle soit physique ou armée, afin de maintenir l'ordre public et le respect de la loi.
L'usage de la force dans le cadre du maintien de l'ordre public se manifeste particulièrement vis à vis des manifestations (I), ainsi qu'en période d'état d'urgence (II).
I - L'usage de la force dans les manifestations en vue de maintenir l'ordre public
A) La réglementation de l'usage de la force par le code de déontologie
Si la police et la gendarmerie peuvent recourir à la force, son usage est cependant encadré par la loi.
En effet, l’article 37 du code européen d’éthique de la police énonce que « la police ne peut recourir à la force qu’en cas de nécessité absolue et uniquement pour atteindre un objectif légitime ». En parallèle, le code pénal ainsi que le code de la sécurité intérieure encadrent l'usage de la force en droit interne. L’article R434-18 du code de la sécurité intérieure autorise l'usage de la force « seulement lorsque c’est nécessaire et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace » et n'autorise l'usage des armes « qu’en cas d’absolue nécessité ». Cet article est inclus dans le code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale. Par ailleurs, l'article 431-3 du code pénal précise que « la force déployée doit être proportionnée au trouble à l'ordre public et doit prendre fin lorsque celui-ci a cessé ».
Ainsi, l'emploi de la force par les autorités est possible lors d'attroupements susceptibles de troubler l'ordre public.
Le rapport rendu par l'IGPN et l'IGGN en date du 13 novembre 2014 relatif à l'emploi des munitions en opérations de maintien de l'ordre, prévoit quatre phases où le recours à la force peut avoir lieu :
- La phase d'usage de la force physique ou de l'utilisation de moyens intermédiaires (bâtons de police, moyens lacrymogènes à main, engin lanceur d'eau) sur décision de l'autorité civile.
- La phase d'usage de la force armée dans le cadre de sommations (armes de force intermédiaire, grenades lacrymogènes instantanées) sur décision de l'autorité civile.
- La phase d'usage de la force armée en réaction à des violences ou voies de fait ou si le terrain occupé ne peut être défendu autrement, en vertu de l'article L.211-9 alinéa 6 du code de sécurité intérieure. (usage des lanceurs de balles de défense)
- La phase d'usage des armes à feu en riposte à une agression de l'unité par une arme à feu.
L'article L.435-1 du code de la sécurité intérieure prévoit le droit commun de l'usage des armes et donc les situations diverses d'usage de la force armée. Le recours aux armes de force intermédiaire et leur développement s'expliquent d'une part par la nécessité de privilégier leur utilisation au détriment de celle des armes à feu, afin de réduire les risques d'atteintes à la vie et à l'intégrité des personnes. D'autre part, l'utilisation de ces armes permet davantage d'assurer la protection des agents et des tiers face à des actes de violence.
B) Les cas d'usage disproportionné de la force pour le maintien de l'ordre ?
L'usage des armes de force intermédiaire dans le maintien de l'ordre a récemment soulevé des difficultés. En effet, suite aux manifestations des gilets jaunes l'utilisation de ces armes s'est vue remettre en cause car qualifiée parfois comme excessive. C'est la raison pour laquelle en mars dernier, la Haut-commissaire des Nations-Unies aux droits de l'Homme, Michelle Bachelet a demandé à la France d'enquêter « de manière approfondie sur tous les cas rapportés d'usage excessif de la force» par les forces de l'ordre lors de manifestations des gilets jaunes. Ce auquel le gouvernement français a répondu en soulevant l'absence de manifestations, mais l'existence d'attroupements pour justifier sa stratégie de maintien de l'ordre.
Par ailleurs, un rapport de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe énonce que « si les États semblent s’efforcer d’éviter le recours à la force meurtrière, ce qui est louable, de nombreux cas de blessures graves, voire de décès, dus à l’utilisation d’armes neutralisantes considérées comme non létales ont été signalés, en particulier l’usage de matraques, canons à eau, gaz poivre, armes de poing, pistolets Taser, balles en caoutchouc, pistolets paralysants et grenades neutralisantes». Il recommande alors que « la mise au point et l'utilisation d'armes non meurtrières neutralisantes fassent l'objet d'une évaluation attentive afin de réduire au minimum les risques à l'égard des tiers et que l'utilisation de telles armes soit soumise à un contrôle strict ».
Ce rapport peut s'analyser comme faisant référence à la situation française, mais aussi à la Turquie puisque la CEDH a rendu un arrêt « Kilici contre Turquie » en date du 27 novembre 2018, concernant une manifestation turque intervenue en 2009 « pendant laquelle le requérant a été blessé à la suite d'un tir de balles en caoutchouc par la police lors de la dispersion de manifestants ». La Cour a estimé que si la blessure occasionnée par la balle en caoutchouc était légère, la dangerosité de ces minutions auraient pu causer une blessure importante. La CEDH a donc ordonné que l'usage de pareilles munitions soit encadré.
La question qui peut se poser concernant la France est de savoir si l'usage de la force dans le maintien de l'ordre public n'est pas ou n'a pas été parfois excessif. C'est pourquoi, l'emploi de la force, et notamment des armes non létales, doit être strictement encadré afin de limiter les usages arbitraires. Il faut donc privilégier les moyens les moins dangereux et les mieux adaptés à la situation pour assurer l'ordre public. Cependant, il est souvent difficile de déterminer l'arme la mieux adaptée à la menace. En considération de cela, la détermination de cas d'usage excessif de la force dans le maintien de l'ordre public suscite elle-même des difficultés puisque l'observation du caractère excessif doit se faire au cas par cas.
II – le renforcement de l’usage de la force en période d’état d’urgence
A) la réglementation concernant l’état d’urgence
Par un décret du 14 novembre 2015, l’état d’urgence a été déclaré en application de la loi du 3 avril 1955. Ce décret de 2015 a été prévu en raison de la menace terroriste et des attentats du 13 novembre qui ont eu lieu la même année.
Ces deux textes permettent d’élargir les compétences de la police administrative des autorités de l’État, afin de prendre des mesures restreignant l’exercice de certaines libertés publiques et individuelles lorsque le maintien de l’ordre le justifie.
L’article 1 de la loi de 1955 prévoit que « l’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou une partie du territoire métropolitain, des départements d’outre-mer, en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ».
La mise en application de l’état d’urgence permet d’adopter des mesures restreignant les déplacements de personnes pour contribuer à réduire les risques liés à des rassemblements sur le fondement de l’article 5 de la loi de 1955.
Cette loi a connu de nombreuses modifications, qui ont eu pour but d’accroître les pouvoirs du préfet lors de l’État d’urgence. Ainsi, il est possible pour lui d’interdire la circulation de personnes ou de véhicules dans certains lieux mais aussi d’interdire le séjour dans tout ou une partie d’un département à toute personne qui constituerait une menace pour la sécurité et l’ordre public.
La loi du 21 juillet 2016 permet au préfet de procéder, sans autorisation préalable du procureur, à des contrôles d’identité, à la fouille des bagages et à la visite des véhicules sur l’ensemble du territoire. Cependant le Conseil constitutionnel censure ces dernières dispositions par la décision du 1er décembre 2017.
Le décret de novembre 2015 permet la mise en œuvre de l’état d’urgence dans des zones déterminées. Il prévoit donc la possibilité d’interdire toute réunion ou manifestation de nature à provoquer ou à entretenir le désordre et qui pourrait représenter un risque pour le participant.
Les manifestations peuvent être perçues par l’opinion publique comme synonymes de confusion et de désordre. Pour permettre une gestion de l’ordre acceptable, il est nécessaire de limiter le recours à certaines techniques d’intervention et d’adopter un rôle d’accompagnement afin de privilégier le dialogue.
B) Les cas abusifs d’usage de la force en période d’état d’urgence
En raison d’opération de maintien de l’ordre, les forces de sécurité peuvent avoir recours à des mesures contraignantes qui apparaissent comme répressives et dont le cadre juridique n’est pas explicite.
En effet, dans certaines situations les techniques d’interventions pouvaient être considérées comme attentatoires à la liberté d’aller et venir ou aux libertés d’expression et de réunion.
Parmi elle, le contrôle d’identité aux bords des manifestations, les fouilles et filtrages.
Les forces de l’ordre ont parfois privés temporairement une personne de sa liberté de manifester notamment si elle n’était pas en mesure de justifier son identité. Il est arrivé que des personnes soient transportées au commissariat pour vérification d’identité, alors même qu’elles étaient porteuses des documents mais personne ne leur avaient demandés.
Afin d’éviter ces situations, il est nécessaire que les contrôles d’identité, dans le cadre des manifestations, soient réalisés dans le respect des libertés individuelles et dans des conditions conformes aux règles déontologiques. De plus, ces contrôles doivent être encadrés et justifiés par des motifs précis et expliqués aux personnes contrôlées.
Bien que ces mesures de fouilles aient été censurées par le Conseil constitutionnel, il a été constaté que l’autorité administrative a pu avoir recours à ces mesures à des fins de maintien de l’ordre, sans qu’un lien soit établi entre la mesure et la menace terroriste.
Ces faits ont été constatés notamment lors des manifestations durant la COP 21.
Concernant les fouilles et le filtrage, pour les forces de l’ordre, ces opérations sont nécessaires pour maintenir à l’écart ceux qui chercheraient avant tout le conflit. Ce système permet d’éviter les infractions.
Cependant, des dérives ont été constatées lors de l’application de ces pratiques. L’organisation Amnesty International dénonce la confiscation d’objets ou de produits de premiers secours qui ne constituaient ni des armes, ni une menace pour l’ordre public. De plus, il est dénoncé que des poursuites judiciaires ont été engagées sur le seul fondement de la détention d’objet de protection.
Ainsi, ces fouilles et filtrages sont source de tensions lors des manifestations et contribuent à dégrader la relation entre la police et les manifestants.
De plus, les pouvoirs publics peuvent avoir recours un autre type d’intervention pour le maintien de l’ordre qui est l’encerclement, visant à priver des personnes de leur liberté de se mouvoir au sein d’une manifestation et ainsi les empêcher de se rendre ou de sortir d’un périmètre défini.
Cependant, cette pratique n’a pas de base légale et semble être contraire à l’exercice démocratique des libertés publiques. En effet, lors de certaines manifestations il est arrivé que des encerclements soient poursuivis pendant une durée prolongée à l’encontre de manifestants pacifiques.
Cette pratique doit donc être définie par un cadre légal dans la mesure où son recours apparaît indispensable face à certains manifestants.
Les rapporteurs de la Commission des lois de l’Assemblée nationale ont recommandé que l’état d’urgence ne puisse être utilisé pour prévenir « les atteintes les plus banales à l’ordre ou à la sécurité », en raison des effets néfastes qu’il a sur la liberté individuelle et la vie privée.
L’organisation Amnesty International évoque même un « détournement de procédures propres à l’état d’urgence pour restreindre la liberté d’expression ou les rassemblements pacifiques » qui ne sont pas liés à la menace terroriste.
La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) partage ce constat. Elle a d’ailleurs craint que ce détournement soit accentué avec la loi du 30 Octobre 2017 visant à renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
Lexane Lamant ; Elisabeth Clape ; Mohamed Bechadli ; Hichem Bouta ; Antoine Orsel
Bibliographie :
Amnesty International, usage excessif de la force armée et maintien de l'ordre, Contrôler les armes, pages 60 à 73: https://www.cairn.info/controler-les-armes--9782746714762-page-60.htm
C. Daclin, L'express « droit de manifester : jusqu'où peut-on aller ? », 10/12/2018 :
https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/droit-de-manifester-jusqu-ou-peut-on-aller_2052644.html
Ooreka Droit, « les grands principes du code de déontologie des forces de l'ordre », octobre 2019
https://justice.ooreka.fr/astuce/voir/288302/les-grands-principes-du-code-de-deontologie-des-forces-de-l-ordre
N. De la Casinière, Reporterre, « les textes officiels encadrant le maintien de l'ordre », 5 mai 2016:
https://reporterre.net/Les-textes-officiels-encadrant-le-maintien-de-l-ordre
Rapport du défenseur des droits sur « le maintien de l'ordre au regard des règles de déontologie », décembre 2017 : http://www.assemblee-nationale.fr/presidence/Rapport-MO-09-01-18.pdf
CEDH Kalici contre Turquie:
https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=26687&opac_view=-1
T. Hamon, C News, « usage excessif de la force contre les gilets jaunes : le gouvernement balaie les accusations de l'ONU », 24/04/2019
https://www.cnews.fr/france/2019-04-24/usage-excessif-de-la-force-contre-les-gilets-jaunes-le-gouvernement-balaie-les
Rapport du Défenseur des droits « le maintien de l’ordre au regard des règles de déontologie », décembre 2017
www.assemblee-nationale.fr/presidence/Rapport-MO-09-01-18.pdf
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000695350
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.docidTexte=JORFTEXT000035932811&categorieLien=id
Ministère de l’intérieur, Paris le 14 novembre 2015
https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/circulaire-etat-d-urgence-du-ministe_interieur.pdf